Un soir de semaine en 57

un soir de semaine en 57
le vent crie dans les cordes à linge
ça sent la soupe
les pommes de terre
le parfum des soirs ordinaires
j’ai l’âge de jouer
de faire semblant
je cache des choses
que je comprends
j’ai mal aux choses
que j’comprends pas
chuis un bon p’tit gars
maman parle au téléphone
papa boit du gin que’que part
maman le cherche dans tous les bars
papa n’est là pour personne
roule roule ma petite machine
à quat’ pattes je fais des ronds
su’l prélart de la cuisine
et le souper colle au fond
maman pleure au téléphone
c’est sa sœur au bout du fil
papa roule en Oldsmobile
quelque part la nuit klaxonne
28 tourne tourne les pages du livre
dans mon pyjama d’flanelle
les contes de fée sont durs à suivre
le souper dans la poubelle
papa rentre il est quelle heure ?
les mots r’volent comme des couteaux
dans mon p’tit cœur après neuf heures
alors je rêve que je vole
par une poussée de ma pensée
je quitte le sol aucun effort
le lit la chambre le corridor
je sors dehors dans la nuit bleue
et là je m’élance
chuis un oiseau
plus haut que l’église en construction
la cour d’école est belle de haut
je frôle la cheminée d’Miron
au-dessus de la ville
chuis un avion et dans le ciel de Montréal
je respire enfin l’avenir
à pleins poumons
maman boit son café noir
papa dort on fait pas d’bruit
la poussière d’hier au soir
balayée sous le tapis lourd
lourd mon sac d’école
mes devoirs et mes leçons
mon efface et mon pot d’colle
le silence dans la maison