Tournoiement

Camille Saint-Saëns, Armand Renaud

Sans que nulle part je séjourne
Sur la pointe du gros orteil
Je tourne, je tourne, je tourne
A la feuille morte pareil ;
Comme à l'instant où l'on trépasse
La terre, l'océan, l'espace
Devant mes yeux troublés tout passe
Jetant une même lueur ;
Et ce mouvement circulaire
Toujours, toujours je l'accélère
Sans plaisir comme sans colère
Frissonnant malgré ma sueur

Dans les antres où l'eau s'еnfourne
Sur les inaccessiblеs rocs
Je tourne, je tourne, je tourne
Sans le moindre souci des chocs
Dans les forêts, sur les rivages;
À travers les bêtes sauvages
Et leurs émules en ravages
Les soldats qui vont sabre au poing
Au milieu des marchés d'esclaves
Au bord des volcans pleins de laves
Chez les Mogols et chez les Slaves
De tourner je ne cesse point

Soumis aux lois que rien n'ajourne
Aux lois que suit l'astre en son vol
Je tourne, je tourne, je tourne ;
Mes pieds ne touchent plus le sol
Je monte au firmament nocturne ;
Devant la lune taciturne
Devant Jupiter et Saturne
Je passe avec un sifflement
Et je franchis le Capricorne
Et je m'abîme au gouffre morne
De la nuit complète et sans borne
Où je tourne éternellement

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