Gauguin (Lettre à Jacques Brel)
Il pleut sur l'île d'Hiva-Oa.Le vent, sur les longs arbres vertsJette des sables d'ocre mouillés.Il pleut sur un ciel de corailComme une pluie venue du NordQui délave les ocres rougesEt les bleus-violets de Gauguin.Il pleut.Les Marquises sont devenues grises.Le Zéphir est un vent du Nord,Ce matin-là,Sur l'île qui sommeille encore.Il a dû s'étonner, Gauguin,Quand ses femmes aux yeux de veloursOnt pleuré des larmes de pluieQui venaient de la mer du Nord.Il a dû s'étonner, Gauguin,Comme un grand danseur fatiguéAvec ton regard de l'enfance.Bonjour monsieur Gauguin.Faites-moi place.Je suis un voyageur lointain.J'arrive des brumes du NordEt je viens dormir au soleil.Faites-moi place.Tu sais,Ce n'est pas que tu sois partiQui m'importe.D'ailleurs, tu n'es jamais parti.Ce n'est pas que tu ne chantes plusQui m'importe.D'ailleurs, pour moi, tu chantes encore,Mais penser qu'un jour,Les vents que tu aimaisTe devenaient contraire,PenserQue plus jamaisTu ne naviguerasNi le ciel ni la mer,Plus jamais, en avril,Toucher le lilas blanc,Plus jamais voir le cielAu-dessus du canal.Mais qui peut dire ?Moi qui te connais bien,Je suis sûre qu'aujourd'huiTu caresses les seinsDes femmes de GauguinEt qu'il peint Amsterdam.Vous regardez ensembleSe lever le soleilAu-dessus des lagunesOù galopent des chevaux blancsEt ton rire me parvient,En cascade, en torrentEt traverse la merEt le ciel et les ventsEt ta voix chante encore.Il a dû s'étonner, Gauguin,Quand ses femmes aux yeux de veloursOnt pleuré des larmes de pluieQui venaient de la mer du Nord.Il a dû s'étonner, Gauguin.Souvent, je pense à toiQui a longé les dunesEt traversé le NordPour aller dormir au soleil,Là-bas, sous un ciel de corail.C'était ta volonté.Sois bien.Dors bien.Souvent, je pense à toi.Je signe Léonie.Toi, tu sais qui je suis,Dors bien.