COUTEAU (LE)
Pardon, Monsieur le métayer
Si de nuit je dérange
Mais je voudrais bien sommeiller
Au fond de votre grange
Mon pauvre ami, la grange est pleine
Du blé de la moisson
Donne-toi plutôt la peine
D'entrer dans la maison
Mon bon Monsieur, je suis trop gueux
Quel gâchis vous ferais-je
Je suis pieds nus, sale et boueux
Et tout couvert de neige
Mon pauvre ami, quitte bien vite
Tes hardes en lambeaux
Tire-moi ce tricot, de suite
Chausse-moi ces sabots
De tant marcher à l'abandon
J'ai la gorge bien sèche
Mon bon Monsieur, offrez-moi donc
Un grand verre d'eau fraîche
L'eau ne vaut rien lorsqu'on tremble
Le cidre... guère mieux
Mon bon ami, trinquons ensemble
Goûte-moi ce vin vieux
Mon bon Monsieur, on ne m'a rien
Jeté le long des routes
Je voudrais avec votre chien
Partager deux, trois croûtes
Si depuis ce matin tu rôdes
Tu dois être affamé
Voici du pain, des crêpes chaudes
Voici du lard fumé !
Chassez du coin de votre feu
Ce rôdeur qui ne bouge :
Etes-vous « Blanc » ? Etes-vous « Bleu » ?
Moi, je suis plutôt « Rouge »
Qu'importent ces mots : République
Commune ou Royauté
Ne mêlons pas la Politique
Avec la charité
Puis, le métayer s'endormit
La minuit étant proche...
Alors, le vagabond sortit
Son couteau de sa poche
L'ouvrit, le fit luire à la flamme
Puis, se dressant soudain
Il planta sa terrible lame
Dans... la miche de pain
Au matin jour le gueux s'en fut
Sans vouloir rien entendre...
Oubliant son couteau pointu
Au milieu du pain tendre
Vous dormirez en paix, ô riches
Vous et vos capitaux
Tant que les gueux auront des miches
Où planter leurs couteaux !!!