Rue de la Roquette
Elle habitait Rue de la Roquette,
Tout en haut d'un vieil escalier,
Chez elle y avait pas de moquette
Sur le palier,
Pas de homard en céramique
Sur un buffet Louis Machin,
Rien qu'un grand lit plein de musique,
Et c'était bien.
Son compagnon, un photographe,
S'était tiré quelqu's mois plus tôt,
Et l'avait laissée en carafe
Comme un salaud.
Depuis elle attendait sans hâte
Que reviennent des jours meilleurs,
Entre des fleurs et une chatte
Folle d'ailleurs.
C'est elle qui m'avait accueilli
Lorsque je traînais dans Paris.
La journée elle était graphiste,
Le soir, elle fumait un peu,
Simplement pour être moins triste,
Pour être mieux.
Elle gardait d'un lointain dimanche,
Plus que les autres gris et laid,
De fines cicatrices blanches
A ses poignets.
Elle avait des amis bizarres,
Des musiciens trapus, barbus,
Des ivrognes que par hasard
J'avais connus.
Et c'est dans la Rue des Canettes,
Un soir de bière et de chansons,
Un soir où je faisais la fête
Que sans façon,
Elle m'avait dit. "Viens dans mon lit
Au lieu de traîner dans Paris".
Elle avait des caresses lentes,
Comme quand on a tout son temps,
Elle avait des gestes d'amante
Oui, et pourtant
Y avait pas d'amour entre nous,
De serments ou de cinéma,
J'm'en méfiais plutôt, voyez-vous
En ce temps-là.
Avant qu'la chanson se termine,
Il faut encore que vous sachiez
Qu'elle avait la bouche enfantine,
De petits pieds.
Ces choses-là avaient d'l'importance
Pour moi, comme ses cheveux roux,
Puis elle est partie en vacances
Je ne sais où.
Je ne l'ai pas revue depuis,
Alors moi, j'ai repris ma vie.
Celui qu'a fait cette complainte
Se souvient encore à présent
De son cou, de ses lèvres peintes
De ses seins blancs.
Il envoie un peu de tendresse
A celle qui l'avait accueilli,
Alors qu'il traînait sa tristesse
Dedans Paris.
Un peu de tendresse comm'ça,
En souvenir de ce temps-là,
Un peu de tendresse, et c'est tout,
Simplement parc'que c'était doux.