Ma mère la Suisse
On m'a dit que j'étais ton fils,
Que tu étais ma mère, la Suisse.
Tous ceux qui me l'ont répété,
A l'école, et puis dans l'armée,
Ont fini par m'en persuader.
C'est pourquoi je viens simplement
Te parler familièrement,
Je viens te dire en face, et sans
Détours, tout ce que je ressens
Aujourd'hui, en te regardant:
Est-ce que tu vois de quoi t'as l'air, ma mère,
Avec ton masque de vertus,
Avec ton ventre d'épicière,
Et ton tablier plein d'écus?
Ah, tu nourris bien tes enfants,
Certains mieux qu' d'autres, évidemment.
Mais le plus grave n'est pas là,
Le plus grave, c'est que pour cela
Tu prends chez plus pauvre que toi.
Tu dis qu' l'argent n'a pas d'odeur,
C'est vrai qu' l'odeur de la sueur
De ceux qui cueillent ton café
Et ton coton n'vient pas troubler
L'oxygène de tes sommets.
Est-ce que tu vois de quoi t'as l'air, ma mère,
Quand tu manges avec tes amis,
Le cul posé sur la misère?
Tu ne manques pas d'appétit...
Ta main droite vend des canons,
L'autre, au dessus de tout soupçon,
Protège l'argent des voleurs,
Et va bénir ces dictateurs
Qui règnent dans le sang, dans la peur.
Comment veux-tu qu'on croie encore
A ta bonté, à ton coeur d'or?
Tu n'es plus celle que tu prétends
Même lorsque tu condescends
A distribuer quelques francs.
Est-ce que tu vois de quoi t'as l'air, ma mère,
Quand tu donnes ton superflu?
Même ta tête d'infirmière
Ne trompe pas, ne trompe plus.
Si tu cessais de n'écouter
Que les plus forts, si tu vivais
En ouvrant ton coeur et tes yeux,
Bien sûr, tu perdrais quelque peu
De ton bonheur silencieux.
Mais ne vaudrait-il pas la peine,
Pour un peu de chaleur humaine,
D'ouvrir ta porte à l'étranger
Et d'oublier de faire payer
Quand tu donnes ton amitié?
Alors, je pourrais être fier, ma mère,
En disant que je suis des tiens.
J'ai pu te paraître sévère...
C'est parce qu'au fond, je t'aime bien.
J'ai pu te paraître sévère...
C'est parce qu'au fond, je t'aime bien.