Chanson Noire
Je veux que tous les gens s'assemblent sur la place
Dans leurs habits de deuil. Qu'ils sortent pas à pas
De leurs maisons muettes, lentement comme on pleure
Qu'ils viennent autour de moi, que leurs pas sur la glace
M'entourent de silence, l'hiver n'en finit pas.
Et qu'il passe un moment qui ressemble à une heure
Que les femmes aient le poing crispé sur leur mouchoir
Qu'on ait dit aux enfants d'interrompre leurs jeux
Et qu'au fond des poitrines naisse une chanson noire
Qu'elle monte et s'amplifie, et que tout les voix
Crient la peine des hommes à la face des dieux
Et que mes vieux amis me prennent dans leurs bras
Moi, je ne dirai rien, la nouvelle a couru
De fenêtre en fenêtre. Le vent comme un cheval
Qui écorche nos toits la porte sur son dos
Puis je veux que la terre gronde et qu'à ce signal
Les rochers s'écartèlent sous le boutoir des eaux
Et que jaillissent ainsi des sources inconnues
Que dans les forêts mortes où personne ne va
Les chamois les renards se plaignent sans comprendre
Que dans le ciel gelé tous les oiseaux s'envolent
Et qu'alors notre chant à la couleur de cendre
S'éteigne dans les gorges, que sans une parole
Mêm' ceux qui n' m'aiment pas me prennent dans leurs bras
Puis je veux qu'on me suive, qu'il se forme une cortège
De têtes inclinées jusqu'à l'arrière-salle
Du café du village. Le poële est rouge et chaud.
Que les larmes se mêlent au vin et que la neige
Tourbillonne au dehors dans la lumière pâle
Qui coule dans le froid à travers les carreaux
Qu'on reste encore un peu, qu'on boive mon malheur
Puis que les gens s'en aillent, que peuvent-ils pour moi?
Sinon pleurer sans bruit au fond de leurs demeures
Qu'on me laisse finir et mon verre et ma vie
Je ne sourirai plus je n'ai plus de chez moi
Celle que j'appelais mon amour est partie
Celle que j'appelais mon amour est partie