L’AIR BETE
Depuis qu’elle m’a traité de chien, je n’vais pas bien
J’aboie partout comme un toutou, comme un toutou
J’ai les oreilles taillées en pointe, le nez qui suinte
Je bave sur les rideaux satin et j’ai des corps sous mes coussins
Elle m’a dressé au poil, je suis aux pieds, fidèle
Si mademoiselle râle, elle peut m’être infidèle...
Depuis qu’elle m’a traité d’oiseau, je n’suis pas beau
Je siffle et piaille comme une caille, comme une caille
J’ai un bec et deux ailes au dos comme un corbeau
Toujours l’impression qu’elle abuse, je suis méfiant comme une buse
Elle caresse mes plumes, je roucoule auprès d’elle
Mademoiselle allume et je tiens les chandelles
Depuis qu’elle m’a traité de rat, je n’suis plus moi
J’ai le dégoût d’un rat d’égout, d’un rat d’égout
Le museau fin, l’air pas très bien d’un ragondin
Quand elle me jette à la figure : « Tu finiras par faire fourrure ! »
Si je dors à la ville, elle couche « rats des chants »
Si c’est au champ tranquille, un rat sera content
Et depuis qu’elle m’a traité d’âne, j’ai mal au crâne
Je suis chargé comme un mulet, comme un mulet
J’ai les oreilles qui pendouillent, bonjour l’andouille !
Si mes sabots sont tout crottés, elle me fait braire sans rigoler
Elle me brosse le dos, moi, j’ai les yeux qui piquent
Je porte des salauds, elle trouve ça pratique
Depuis qu’elle m’a traité d’hareng, je suis à cran
Aussi méchant qu’un requin blanc, qu’un requin blanc
J’me suis fait enfilé citron comme un poisson
Si je me noie dans ma baignoire, ça fait des ronds dans l’eau, bizarre !
Elle a vidé mes tripes, mes écailles et j’ai froid
Si mademoiselle tripe, un autre y met les doigts
Depuis qu’elle m’a traité de bouc, j’ai l’air d’un plouc
J’ai l’air nigaud comme un chevreau, comme un chevreau
Mais j’ai l’odeur de son fromage de dix ans d’âge
Mes sabots tout crottés au cul, mes cornes bien entretenues
Je lui parle, elle s’enfuit, je bégaie, ça l’ennuie
Si je trouve ça marrant, elle couche avec Durand
Elle m’a traité d’orang-outan, je m’fais du sang
Lâche et bleu, comme un paresseux, un paresseux
Je fais travailler mes méninges, je fais le singe
Pour apprendre à l’apprivoiser, je m’fais gorille ou chimpanzé
Et s’il fait froid ce soir, moi, je fais la grimace
Je suis seul dans le noir, c’est pas moi qui l’enlace
Et pour terminer ce bestiaire « langue de vipère »
Je voudrais trouver un mot neuf, fort comme un bœuf
Pour lui dire tout ce qui m’embête même à tue-tête
Si je bavarde comme une pie, elle ne m’écout’ra pas, tant pis !
Mademoiselle s’enchante, elle nous fait l’hirondelle
Et c’est moi qui déchante, je vais finir sans elle
Elle aurait fait ma biche, j’aurais été son cerf
Mais mademoiselle triche et chasse à courre mes nerfs