La dernière séance
Ce tissu humide et rêche irrite mon épiderme
Les tâches de chewing-gums fondus collent à ma peau
Il fait chaud…
Un trou dans la mousse où je cale mes orteils
Mon corps s’enfonce dans un creux centenaire
La lumière agresse les rétines
Et laisse des zones d’ombres où les cafards piétinent
Ponctuellement, des portes s’ouvrent
Et on se laisse tomber sur les sièges pourpres…
Bonnie interprète ce soir les grands airs de Sarah Bernhardt
Mais loin des opéras bondés d’admirateurs
Ici, ça va faire mal quand le premier verre aura quitté sa table
Une rixe de plus entre deux ou trois minables
La diva fixe le mur et ne les regarde pas
Elle fixe le lustre et pense qu’elle est atterrie là par hasard
Au fond dans l’ombre, Joe, complètement ivre mais calme, l’observe
Ancien pilote de ligne de la Navy, désabusé
Le barman répétait souvent :
« J’connais bien Joe, tu sais… y a qu’la voix d’Bonnie qui peut l’amuser. »
Elle était tout c’que cette vermine environnante n’avait pas encore souillé
Fermeture du club plusieurs heures plus tard
Des poivrots d’humeur brutale agressent Bonnie à la sortie
« Ta liberté d’ton m’irrite ma jolie… tu sais c’que ça fait que d’se faire brûler l’iris ? »
Elle s’en sort avec une marque à la joue droite
Joe débarque et règle leur compte à ces sales types
Et crève les yeux du fumeur avec son propre cigare
Commence une romance qui fait valser les corps
Est-ce du sexe avec un ange ou une transe avec une succube qui danse avec la mort ?
Les acrobaties durent jusqu’à c’que Joe sente une pointe d’acier glacé se planter dans son dos
Il la regarde comme si elle l’avait délivré
Elle regrette son acte mais obéit aux ordres
Il s’endort sur les draps déjà tâchés de rouge et rend son dernier souffle
Du vermicelle noire court sur l’écran
Comme de la poussière soumise à l’électricité statique
Les baffles grésillent, on pressent comme un début
Des « chut », des « ah » extatiques
« - Allez ouvre toi !!
- Désolé-
- Oh ! Putain ouvre toi !!
- Le code que vous avez composé est incorrect
- Allez !! »
Ouvre le sas, ouvre le sas
La buée de mon souffle couvre la glace
La lumière rouge de l’alarme clignote
Ma combinaison a une fuite de gaz
Une affreuse douleur me lance le mollet
À l’endroit où le tentacule s’est enroulé
Mon fusil à impulsion a fait mouche
Mais les dards ont transpercé plusieurs couches
Boiteux, je traîne la patte
A la force des bras, je remonte le fuselage
Loin à ma droite, une bombe éclate
Les débris bourdonnent et fusent au large
Ouvre le sas, vite, ouvre le sas
Derrière moi l’horreur gargouille et crache
Putrescent, couvert de sang
Mon fusil à plasma n’a plus de recharge
L’ombre devant moi dessine une encoche
Et dodeline de droite à gauche
Les raclements de gorge s’ajoutent aux dialogues
Les hoquets, les froissements résonnent
Les pupilles se dilatent, se rétractent
Au gré des nuits, des flashes sans entracte
Tout au bout d’un long couloir plongé dans le noir
Je poursuis mes recherches, enfermé dans un manoir
A moitié fou j’ai appris sur l’tas
Alchimiste à mes heures pour de meilleurs résultats
Entouré de squelettes, de projets entassés
Ça fourmille de mille outils, obsolètes, encrassés
Un point d’soudure, j’ai suivi toutes les procédures
Ma joie déborde, je viens d’finir le corps de mon cyborg
Au village on s’questionne sur ma santé mentale
Sans voir l’intérêt de connaître un être de métal
Dur de retrouver le sommeil, j’étais tendu
La veille du jour du réveil tant attendu
« It’s alive !! »
Il se lève, c’était le but de toute ma vie
Soudain, j’entends sortir une voix sordide : « c’est toi mon projet accompli ! »
Je me retourne vers la porte
Donc si j’ai bien compris ma tâche est d’en fabriquer d’autres
Puis d’autres, puis d’autres…
Bientôt, un bonhomme aux grands yeux idiots nous invitera à manger du popcorn et à boire du Cola
Certainement pas
Car les morceaux de frites coincés entre mes dents
Seront projetés sur le siège de devant
Cherry ne rentre pas dans ses vêtements
Elle cherche Brian en l’appelant bêtement
Elle aurait s’douter depuis longtemps
Que le chat n’est pas rentré tout seul dans le micro-ondes
La pauvre Cherry au gros bonnet
N’a que l’intelligence que son scénariste a bien voulu lui donner
« Brian ?... Brian ?... »
Brian se balance au bout d’une corde
A côté de trois autres corps martyrisés
De ses trois autres potes partis pisser
On demande au public de participer
« Tue-la !! Tue-la !! »
Caméra subjective sur Cherry
Elle découvre le pot-aux-roses bien trop tard
Elle n’a même pas l’temps d’crier
Que le tueur découpe déjà sa colonne comme des pointillés
« Tu es un mauvais fils ! »
Flashback de la mère du tueur devant le crucifix
Retour sur le plan du sacrifice
Le tueur est pardonné
Il n’a eu qu’l’enfance que son scénariste a bien voulu lui donner
Jusqu’au défile des caractères blancs, il y a peu de rires
Quelques applaudissements
Les projecteurs s’allument
Certains chantent « ce n’est qu’un au revoir »
Avant que ne tombent les murs