Orestes Et Électre

Qui es-tu?

Un étranger.

Sois le bienvenu. Tout ce qui est étranger à cette ville m'est cher. Quel est ton nom?

Je m'appelle Philèbe et je suis de Corinthe.

Ah? De Corinthe? Moi, on m'appelle Électre.

Tu es belle. Tu ne ressembles pas aux gens d'ici.

Belle? Tu es sûr que je suis belle? Aussi belle que les filles de Corinthe?

Oui.

Ils ne me le dissent pas, ici. Ils ne veulent pas que je le sache. D'ailleurs à quoi ça me sert-il, je ne suis qu'une servante.

Servant? Toi? Tu n'as jamais songé à t'enfuir?

Je n'ai pas ce courage-là : j'aurais peur, seule sur les routes. Ah bien! J'attends quelque chose.

Quelque chose ou quelqu'un?

Je ne te le dirai pas. Parle plutôt. C'est une belle ville, Corinthe?

Très belle.

Je te parais niaise? C'est que j'ai tant de peine à imaginer des promenades, des chants, des sourires. Les gens d'ici sont rongés par

la peur. Et moi ...

Toi?

Par la haine. Et dis-moi encore ceci, car j'ai besoin de la savoir à cause de quelqu'un que j'attends : suppose qu'un gars de Corinthe, un de ces gars qui rient le soir avec les filles, trouve, au retour d'un voyage, son père assassiné, sa mère dans le lit du meurtrier et sa soeur en esclavage, est-ce qu'il filerait doux, le gars de Corinthe, est-ce qu'il s'en irait à reculons, en faisant des révérences, ou bien est-ce qu'il sortirait son épée et est-ce qu'il cognerait sur l'assassin jusqu'à lui faire éclater la tête?

Électre!

Chut!

Qu'y a-t-il?

C'est ma mère, la reine Clytemnestre.

Électre, le roi t'ordonne de t'apprêter pour la cérèmonie. Tu mettras ta robe noire et tes bijoux. Tu es princesse, Électre, et le peuple t'attend, comme chaque annèe.

Sais-tu ce qu'ils font, Philèbe? Il y a, au-dessus de la ville, une caverne on dit qu'elle communique avec les enfers. A chaque anniversaire, le peuple se réunit devant cette caverne, des soldats repoussent de côte la pierre qui en bouche l'entrée, et nos morts remontant des enfers, se répandent dans le ville. Ils courent partout. Je ne veux pas prendre part à ces mômeries. Ce sont leurs morts, non les miens.

Si tu n'obéis pas de ton plein gré, le roi a donné l'ordre qu'on t'amène de force.

De force? ... ha! Je paraîtrai à la fête et, puisque le peuple veut m'y voir, il ne sera pas déçu. A bientôt, je vrais m'apprêter.

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